CROISIERE SANS ESCALE - BRIAN ALDISS
« Croisière sans escale » est l’un des récits de vaisseaux générationnels les plus connu. Pourtant, la première moitié du livre de Brian Aldiss ressemble bien davantage à une histoire d’apprentissage et de quête comme on en trouve dans les romans de fantasy. Outre une société sclérosée et dominée par une religion austère on y retrouve en effet la traditionnelle figure du jeune héros qu’un esprit aventureux et une volonté d’émancipation vont extraire de son milieu et conduire à bouleverser la vie de ses congénères.
Les premiers chapitres sont donc fort logiquement consacrés à la tribu du jeune Roy Complain et aux règles qui la régissent. On découvre une micro société de chasseurs cueilleurs qui survit misérablement des maigres ressources de son environnement. Une société dans laquelle Roy se sent à l’étroit et dont il supporte de plus en plus mal les contraintes et la hiérarchie. Après la punition de trop il accepte sans trop d’hésitation de se joindre à l’expédition que le prêtre Marapper a montée dans le plus grand secret. Là encore, le cheminement de l’intrigue emprunte davantage à la fantasy qu’à la SF. Une communauté de compagnons aux aspirations les plus diverses, un voyage dans un environnement hostile, des rencontres avec d’autres groupes humains ou espèces pour le moins surprenantes, des dangers multiples…
La seule différence avec ce type de récits est le cadre dans lequel l’action se déroule. Le lecteur a en effet un avantage considérable sur les personnages puisqu’il sait que ces derniers évoluent dans un vaisseau spatial. Il est donc attentif aux différents pièges qui les guettent et savoure par avance les mauvaises surprises qui les attendent. Et elles ne manqueront pas. La jungle des cultures hydroponiques dont rien n’entrave plus la prolifération, les marécages formés par les anciennes piscines, les zones d’apesanteur qui donnent l’impression de marcher la tête en bas…
Il faut donc attendre la rencontre avec le « peuple de l’avant » pour que la SF s’installe véritablement. A partir de là tout va aller beaucoup plus vite. Le récit prend un tour plus politique et les révélations se succèdent à vive allure. Comment la majeure partie de l’équipage a-t-elle régressé à un stade primitif ? Pourquoi subsiste-t-il ici et là des îlots de civilisation ? Qui sont les hors-venus et les géants ? Toutes les questions que le lecteur s’était posées trouveront leur réponse tandis que les différents groupes humains s’affrontent ou s’allient pour la prise de contrôle du vaisseau.
La chute laissera peut-être à certains un petit goût d’inachevé. Pour ma part elle ne m’a pas déplu. J’y ai vu une métaphore de notre humanité placée devant les conséquences de ses actes et qui réalise un peu tard et ô combien douloureusement, qu’elle va devoir continuer de vivre sur un monde qu’elle a contribué à dévaster.
Denoël - Présence du Futur - 1983