PAYSAGES DE MORT - JEAN-PIERRE ANDREVON
L’humanité n’ira jamais dans les étoiles. Elle n’ira pas même sur Mars et la Lune sera sa seule conquête. Collée à la Terre, les pieds dans la fange originelle, elle restera victime de ses éternels travers et sa technologie n’y pourra rien. La famine, la guerre, la pollution, la surpopulation viendront à bout de ses meilleures intentions. Les hommes et les femmes peuvent bien continuer à s’agiter, à s’adonner au grand jeu de la vie, leur destin est déjà tracé et leur fin programmée. Ce sera le grand éclair nucléaire, la lente dégradation de la maladie ou la boucherie militaire. Chair à canon, chair à fantasme, chair à scalpel, faites votre choix, le résultat sera le même ! Chez Jean-Pierre Andrevon, l’avenir s’annonce rarement sous les meilleurs auspices. Dans « Paysages de mort » il est d’un noir profond. Noir comme le deuil. Profond comme la tombe.
Le recueil débute par une nouvelle étrange. « Ici » nous conte le quotidien d’un homme dans sa maison, ses menues occupations, ses petits plaisirs, ses maigres espoirs. Il s’en dégage une sensation de vacuité légèrement dérangeante. Et si la vie, ce n’était que ça.
On poursuit avec « Les rats » où quand l’histoire militaire de l’humanité, ses empires, ses conquérants, ses réformateurs se rejoue au fond d’une cave. Homme, rat, même combat ?
« Le grand combat nucléaire de Tarzan » nous prouve quant à lui que même les héros subissent les outrages du temps. Il nous rappelle également que pas un pays, pas une région, pas même les forêts de l’antique Opar, ne sont à l’abri des effets pervers de la civilisation, de l’industrialisation, du nucléaire, de la pétrochimie… Et ce n’est pas le dernier sursaut d’orgueil du grand singe blanc qui y pourra grand-chose !
« Jour de sortie » nous fait pénétrer dans un abri antinucléaire. Un cylindre de 12 mètres de diamètre sur 22 de haut où six hommes et cinq femmes ont trouvés refuge pour échapper aux radiations. La promiscuité, l’ennui, la jalousie, la rancœur font faire leur lot de victimes jusqu’à la sortie tant attendue. Mais que trouveront les survivants ?
Dans la France d’après la guerre atomique, on survit comme on peut. On mange son Extracanigou ou son Superonron, on boit son eau recyclée et on évite au maximum de quitter sa cellule pressurisée par peur des radiations, des Brigades de Dépopulation, des voisins... : « Ainsi vont les jours ».
« Musique pour un départ » se présente sous la forme d’un dialogue. Une femme tente de retenir son homme – son mari ?, son amant ? – qui part combattre les alnubiens. Au fil de la conversation transparait l’embrigadement que l’homme a subit. Mais les militaires n’ont pas modifié que ses pensées.
« La grande révolte des robots de juin 2134 » est une nouvelle tragique et amusante qui nous démontre que le tout automatisé n’est pas forcément une panacée.
Avec « Opération de routine », on apprend que dans le futur, il sera possible de vivre sans travailler. Grâce à la rente de libre citoyenneté, on peut passer ses journées à glander, à baiser, à se camer, à s’envoyer en l’air de toutes les façons possibles. Rien à payer en retour. Enfin presque. Juste un petit don. Un peu de soi-même. Une nouvelle glaçante avec une chute à double détente !
« La dérive » reprend le thème de ces soldats japonais qui, des décennies après la fin de la seconde guerre mondiale, pensaient être toujours en guerre et continuaient de tenir leur poste sur des îles perdues dans le Pacifique. Ici, quatre militaires livrent, jour après jour, un combat acharné contre les insectoïdes de Sigma du Verseau. Mais le conflit est-il bien ce qu’on leur en a dit ? Sont-ils vraiment en route pour les colonies stellaires d’Epsilon où bien sont-ils encore sur Terre à lutter contre Dieu sait qui ?
« Sur le bord de la route » est une nouvelle qui aurait facilement sa place en littérature blanche. L’histoire de cette famille pauvre échouée en bordure de la forêt vierge, cultivant une terre ingrate et passant son temps à observer des convois militaires qui ne cessent de circuler sur la route toute proche pourrait en effet se situer n’importe où sur Terre. On pense bien sûr à l’Amazonie mais cela pourrait aussi bien être l’Indonésie ou l’Afrique équatoriale, ces régions où la misère et les dictatures poussent les populations à l’assaut des forêts et des minorités ethniques.
« Paysage des morts » est un récit étrange qui nous montre quelques-uns des différents aspects que la mort peut emprunter. Maladie, accident, homicide, à chacun sa chacune !
On remarquera enfin qu’entre chaque texte s’intercale une très courte nouvelle d’à peine une petite page et que le recueil s’achève sur un épilogue en forme de réflexion sur la destinée de l’homme et de sa planète.
Denoël - Présence du Futur - 1978