VIVE LE FEU - CHRISTOPHE SIEBERT
Je vais régulièrement sur la page Facebook de Christophe Siébert pour y découvrir son actualité, ses posts souvent fort drôles et ses coups de gueule. Il y a peu, il nous y parlait de son activité de directeur de collection aux éditions de La Musardine et notamment de la façon dont il avait convaincu l’un de « ses » auteurs de privilégier la profondeur de ses personnages à la recherche d’une intrigue sensationnelle. Et bien le moins que l’on puisse dire c’est que le bonhomme applique à la lettre les conseils qu’il donne à ses poulains.
L’intrigue de « Vive le feu » est en effet plutôt mince. Sur cent cinquante pages, il nous déroule, d’abord en accéléré, puis de façon de plus en plus lente et précise, la vie de Masha. Pas un long fleuve tranquille la vie de cette divorcée mal dans sa peau. Plutôt une succession d’épreuves qui nous plongent dans le pathos le plus absolu : dépression, licenciement, deuil, alcoolisme, médocs, solitude. Solitude surtout. Solitude de ceux qui ne se reconnaissent pas dans notre société de l’image et de l’hyper-communication. Solitude de ceux qui refusent de hurler avec les loups ou de communier avec les foules. Solitude de ceux qui répugnent à bouffer la soupe insipide qu’on leur sert jour après jour.
Avec un hyper réalisme parfois dérangeant, l’auteur nous décrit le quotidien de son héroïne et ses maigres tentatives pour garder la tête hors de l’eau. Ce faisant, il nous fait ressentir de manière presque physique la vacuité de son existence et, d’une certaine manière, celle de toutes les existences. Et c’est ainsi que, l’air de rien, c’est la vie de la classe moyenne de la République Indépendante de Mertvecgorod qui prend corps avec ses trajets en voiture sur l’avtostrada, les dimanches dans les gigantesques centres commerciaux conçus pour dépouiller les braves citoyens de leurs maigres économies, les émissions de télé-réalité à la con, les réseaux sociaux délétères… Une vie qui ressemblerait assez à celle de l’occidental moyen s’il n’y avait en sus quelques joyeusetés locales : la zona et ses immenses décharges à ciel ouvert, ses usines de retraitement des déchets, ses bidonvilles…
Lourd et oppressant, le récit prend un rythme plus soutenu avec l’apparition de Pavel, un ado en rupture avec lequel Masha projette une action d’éclat, histoire de finir en beauté. La relation entre ces deux paumés sera l’occasion de quelques passages assez touchants avec, ici et là, quelques notes d’un humour noir et désespéré. Comme de juste, tout cela finira mal et l’ultime pied de nez à une société exécrée aura des allures de pétard mouillé. Ils n’auront pourtant pas totalement échoués puisque nous aurons été, l’espace de quelques heures, les témoins de leurs différences, de leur souffrance et de leur révolte.
Zone 52 Editions - Karnage - 2023