DERRIERE L'ABATTOIR - ALBERT-JEAN
La réédition de ce roman de 1923 a le double mérite de sortir son auteur de l’oubli et d’attirer notre attention sur un épisode peu connu de la première guerre mondiale. En 1917, la boucherie dure depuis déjà quatre ans et les généraux continuent de lancer des offensives aussi inutiles que couteuses en vies humaines. Le besoin de renfort se faisant cruellement sentir, le commandement militaire a alors l’idée de faire appel aux réformés, faisant ainsi d’une pierre deux coups : agrandir le réservoir à chair à canons et satisfaire une opinion publique qui voit partout des embusqués.
Les borgnes, les épileptiques, les cardiaques et les tuberculeux sont donc rappelés sous les drapeaux. Peu d’entre eux verront le front. La plupart seront confinés dans des casernements de l’arrière où des militaires en retraite sont chargés d’en faire des soldats acceptables. C’est dans l’un d’eux, en Bourgogne, qu’Albert-Jean nous emmène à la rencontre de ses fameux "récupérés de 17". De la visite d’incorporation aux derniers honneurs rendus à ceux qui laisseront leurs dernières forces dans cette épreuve, nous suivons le tragique parcours de quelques-uns de ces malheureux. Nous les voyons s'épuiser dans des marches inutiles ou s’exténuer dans les basses tâches que l’on confie avec dédain à ces « fonds de tiroir ». Nous espérons avec eux la réforme qui les rendrait à la vie civile, au bureau ou à la ferme, à leur femme ou à leur mère. Et nous les voyons finalement mourir bêtement, sans même la triste consolation d’avoir servi leur pays.
Tout le récit est porté par une écriture d’une ironie cinglante. On devine derrière l’humour une colère rentrée et l’on sent que l’auteur se retient pour ne pas exploser devant tant de bêtise, de lâcheté et de méchanceté. Son livre est un vibrant hommage à ces victimes d’une souffrance inutile, « ces bêtes malades que l’on poussait vers l’abattoir, sans besoin, sans raison, pour grossir le troupeau ».
L'Arbre Vengeur - L'Alambic - 2017