L'ÎLE DES RÊVES - KEIZO HINO
Shôzô Sakai est un veuf d’une cinquantaine d’années qui passe l’essentiel de son temps libre à déambuler dans Tôkyô pour admirer les tours de verre et d’acier qui fleurissent un peu partout dans la ville. S’étant un jour égaré sur les vastes terre-pleins qui bordent la zone portuaire il fait la connaissance d’une jeune femme excentrique qui va lui ouvrir les portes d’un univers étrange en marge de la ville et du temps.
J'ai toujours eu un petit faible pour les romans qui, sans verser dans le fantastique ou la science-fiction, baignent dans une atmosphère étrange, onirique ou surréaliste. C'est exactement le cas de cette "Ile des rêves" qui nous fait évoluer dans un Tôkyô décalé, bien loin des quartiers traditionnels ou futuristes de la célèbre cité nippone.
Dans ce roman particulièrement minimaliste (un entrepôt, un bout de digue et seulement trois personnages) Keizo Hino nous emmène voir ce qui se cache derrière notre environnement quotidien. Il nous fait découvrir les vestiges de l’ancienne cité et nous promène dans les quartiers industriels ou sur les terrains vagues, nous forçant à regarder ces lieux déclassés où l'on ne met habituellement pas les pieds. Son île est ainsi un témoignage du passé recouvert par le modernisme des constructions d'après-guerre. Elle est aussi la preuve vivante de l’impact du mode de vie occidental sur notre environnement. Elle est à la fois ce qu'on a oublié et ce que l'on préfère ignorer, un témoignage de notre passé et une vision de notre futur.
Mais pour le découvrir, encore faut-il s'engager sur des chemins de traverse et aller regarder le monde sous un angle nouveau. Comme Monsieur Sakai, ce n’est qu’en rompant avec notre routine que l’on peut accéder à ce monde parallèle. Pour cela, il faut accepter de sortir de sa zone de confort, il faut expérimenter, se mettre en danger.
« L’île des rêves » est donc autant une réflexion sur la ville et la place de l’homme dans l’habitat urbain qu’un appel à changer des habitudes qui, peut-être, nous font passer à côté de l’essentiel. C’est en tout cas un roman déconcertant qui m’a laissé une impression profonde. Il m’a aussi rappelé une autre île, de béton celle-là, dans laquelle James Ballard explorait déjà les réactions de trois individus confrontés aux aberrations d’une urbanisation anarchique.
Philippe Picquier - 2012