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30 janvier 2016

LE JEU DE L'ANGE - CARLOS RUIZ ZAFON

9782221111697

Depuis son plus jeune âge, David Martin ne vit que par et pour les livres. Ceux qu'il a lus enfant et qui l'ont aidé à surmonter une existence misérable auprès d'un père toxicomane, et ceux qu'il a écrits lorsque, devenu adulte, il embrassa la carrière d'écrivain. Mais malgré le succès populaire de La ville des maudits, une série de romans d'aventures fantastiques, la consécration littéraire à laquelle il aspire n'est pas au rendez-vous. Dépité, il accepte la proposition de Corelli, un mystérieux éditeur qui lui propose une somme mirifique en échange d'un livre qui servirait de fondement à une nouvelle religion.
Alors qu'il a déjà commencé la rédaction de l'ouvrage, il découvre qu'il n'est pas le premier écrivain à avoir reçu une telle commande. Pire encore, il semblerait que son son prédécesseur ait connu une fin funeste. Déterminé à en savoir plus, il se lance dans une dangereuse enquête tandis que les cadavres commencent à s'accumuler autour de lui.

Ce n'est sans doute pas par hasard que Carlos Ruiz Zafon a choisi pour héros un écrivain. Son roman est un véritable hommage aux livres et à la création littéraire. On y croise des éditeurs et des romanciers, des archivistes et des rédacteurs. Les personnages passent leur temps dans les librairies, les bibliothèques et les journaux et l'on vit avec le jeune David Martin les affres et les délices de l'écriture, l'angoisse de la page blanche, les délais qu'il faut tenir, les rêves de notoriété...

Pour le reste, Ruiz Zafon reprend la recette qui avait assuré le succès de "L'ombre du vent". Nous retrouvons donc ce savoureux mélange de fantastique et d'enquête policière sur fond d'intrigue sentimentale. Présent aussi, le soin tout particulier apporté à l'ambiance et aux personnages. De nouveau, il nous balade par tous les quartiers de la capitale catalane même s'il s'agit cette fois de la Barcelone des années vingt où commence à se lire l'empreinte de Gaudi (chantier de la Sagrada Familia, Parc Güell) et de l'exposition universelle (téléphérique du port). Une Barcelone de ténèbres et de lumière, à cheval sur les rues sombres et sinueuses du quartier du Raval et les grandes avenues bordant la Plaza Catalunya.


Quant aux personnages, ils sont toujours aussi nombreux et finement travaillés. Le héros bien sûr, dont la personnalité particulière est au cœur du roman, Isabella et Cristina, deux femmes de caractère qui influenceront durablement le cours de son existence, Corelli, le mystérieux éditeur dont la nature profonde nous donne matière à spéculer et bien sûr les Sempere père et fils ou devrai-je dire, grand-père et père puisqu'il s'agit de l'aïeul et du géniteur du jeune héros de L'ombre du vent. La présence de ces deux personnages (et celle d'Isabella) constitue une véritable passerelle entre ces deux romans. Avec Le jeu de l'ange commence à se dessiner une grande fresque (qui compte même d'ores et déjà un troisième volume) et dans laquelle la librairie Sempere et le fameux "Cimetière des livres oubliés" constituent des points de repère.


En tout état de cause cet opus s'avère palpitant. L'intrigue va s'épaississant et nous sommes bientôt tout aussi désorienté que le pauvre David qui, cerné de toutes parts, aura bien du mal à se tirer d'affaire. A cet égard, les cent dernières pages sont absolument haletantes entre révélations, courses poursuites et traque du héros. Un "page-turner" captivant que l'on ne peut quitter avant la dernière ligne.

ATTENTION, CA VA SPOILER !

La fin justement, paraîtra peut-être un peu confuse en ceci qu'elle n'apporte pas de réponses claires concernant la personnalité de Corelli ou l'identité du meurtrier. Pour ma part, il me semble que deux explications sont envisageables. La première est d'ordre fantastique. Corelli est bien le diable et David Martin un nouveau Faust pris au piège d'un pacte redoutable. La seconde est beaucoup plus rationnelle. David a basculé dans la folie et souffre d'un dédoublement de la personnalité. Ce faisant, il refoule toute responsabilité et fait endosser les meurtres par son double démoniaque : Diego Marlasca. Plusieurs éléments me font pencher en faveur de la seconde hypothèse.


En premier lieu, le surnaturel ne fait son apparition qu'à compter du moment ou David voit ses espérances sombrer les unes après les autres. La femme qu'il aime lui préfère un autre homme ; le roman sur lequel il fonde ses ambitions littéraires est un échec alors que celui de son rival triomphe ; il est pris au piège d'un contrat d'édition qu'il ne peut rompre. Ajoutons qu'il est physiquement diminué, psychologiquement faible et terriblement seul dans sa vieille maison. Mis bout à bout, ces faits peuvent expliquer qu'il ait perdu la raison. D'ailleurs, ne passe-t-il pas quelques jours à l'hôpital jusqu'à sa prétendue guérison miraculeuse ? Et Sempere père, son seul véritable ami, ne s'inquiète-t-il pas de sa santé mentale, ne cherche-t-il pas à rompre son isolement en lui confiant l'éducation littéraire d'Isabella ?


Il faut ensuite considérer que la totalité des meurtres commis ne profitent qu'à David. La mort de ses éditeurs le libère d'un contrat qui lui pèse et les malfrats qui ont attaqué Isabella sont punis. Les personnes qui pourraient infirmer ses dires (la veuve Marlasca, Roures, Irene Sabino) sont tuées les unes après les autres, tout comme ceux qu'il a fini par détester (Cristina, Vidal, Valera). Enfin, les policiers qui tentent de l'arrêter sont également éliminés.


Ajoutons encore qu'il réside dans la maison de Diego Marlasca où il a trouvé la matière nécessaire pour inventer son histoire : photos, lettres, documents divers. D'ailleurs comment expliquer autrement toutes ces coïncidences entre son existence et celle de l'ancien occupant de la maison de la tour : même habitation, même travail, même livre échoué au cimetière des livres oubliés... L'inspecteur Victor Grandes va également démontrer que toutes les allégations de David sont fausses : c'est lui-même qui passe commande de la pierre tombale à son nom, c'est encore lui qui a réglé les honoraires de l'avocat, lui toujours qui portait la petite broche figurant un ange.


Enfin, n'oublions pas que le récit est écrit par David lui-même. Il peut donc nous montrer les évènements sous l'angle qui lui convient le mieux et s'y présenter comme une victime. On retrouve d'ailleurs dans son histoire la patte de l'auteur de roman d'aventures fantastiques qu'il n'a jamais cessé d'être. Il y est question de séances de spiritismes et de pratiques démoniaques dans un cimetière, d'un ange déchu et de la sorcière du Somorrostro, d'une chambre cachée contenant un squelette, en un mot, tout le grand guignol de La ville des maudits...


J'ignore si mon point de vue correspond à celui de l'auteur. J'aime néanmoins l'idée d'un assassin psychopathe qui se cacherait sous l'apparence inoffensive d'un écrivain maudit. En procédant de la sorte, Ruiz Zafon est parvenu à nous le rendre sympathique, à nous intéresser à ses déboires, ses passions refoulées et sa psychose. On s'attache à lui, on le plaint et on souhaite de tout cœur qu'il parvienne à s'en sortir.


Le saut de l'ange est en tout cas une bien belle et bien triste histoire d'espoirs déçus, à l'instar des grandes espérances de Charles Dickens, roman qui accompagna et illumina la jeunesse du héros... et accessoirement la mienne.

Robert Laffont - 2009

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Commentaires
A
Je viens de le finir. Le surnaturel fait son apparition bien plus tôt : lorsqu'à 17 ans, il va au bordel et couche avec l'héroïne de son roman... Bordel qui a ete incendié des années plus tôt.<br /> <br /> <br /> <br /> Je pense que sa folie est donc là dès le départ. Brillant. Vraiment brillant.
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L
Bonjour, je pense à la folie car quand David explique que les 2 malfrats qui voulaient du mal a Isabelle s'enfuient, quand il rentre il dit avoir une goutte de sang sur le front (ou la tempe je ne sais plus). Et le lendemain il apprend que xes 2 personnes ont été tués avec une barre métallique (David en avait une en main). Je pense qu'il a un dédoublement de la personnalité car il ne l'explique pas et ne semble pas se souvenir de ce passage. Mais le livre reste excellent. Je vais attaquer le prisonnier du ciel 😊
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L
"Le prisonnier du ciel" est dans ma PAL. J'en causerai sans doute bientôt...
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F
Ami Lek, j’ai lu ces deux pavés il y a quelques années ; quelle histoire ! <br /> <br /> Sans compter qu’il nous reste “Le prisonnier du ciel” à ingurgiter pour être exhaustifs.<br /> <br /> Et j’ai la même préférence que toi pour la solution numéro deux : le David tourne barjot ; dans le doute j’opte systématiquement pour la folie plutôt que pour la magie.<br /> <br /> Cela dit, et encore une fois, quelle belle entrée dans ta ship’s log cette bafouille ! <br /> <br /> Il ne me tarde pas que l’on commente le même livre !<br /> <br /> F@P
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FLEUVE NOIR
fl no
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