MES VRAIS ENFANTS - JO WALTON
A près de 90 ans Patricia est atteinte de la maladie d’alzheimer. Dans la maison de retraite où elle finit ses jours elle songe à ce que fut sa vie. Ou plutôt ses vies. Car si le présent de Patricia est désormais confus elle se souvient parfaitement de ses deux existences. L’une avec Mark, brillant professeur mais piètre époux, l’autre avec la merveilleuse Bee. Avec chacun de ses conjoints elle a eu des enfants. Mais laquelle de ses deux vies est réelle, laquelle est fantasmée ? Et quels sont ses vrais enfants ?
"Mes vraies enfants" n'est pas la première incursion de Jo Walton en terre uchronique. Elle a connu ses premiers grands succès avec ce type de récit où il est question de savoir ce qu'il serait advenu si tel ou tel évènement s'était déroulé différemment, si l'invincible armada avait envahi l'Angleterre, si Hitler était mort pendant la première guerre mondiale, si, si...
Ici, nous sommes en présence d'une uchronie extrêmement légère. D'ailleurs s'agit-il réellement d'une uchronie ?L'évènement à partir duquel l'histoire bifurque n'a de conséquence que sur l'héroïne. Certes, les mondes dans lequel les deux Patricia évoluent ne sont pas identiques mais ce n’est pas sa décision qui influe sur le cours du temps. Si son choix change quelque chose, c’est sa vie. Et encore. Les deux existences de Patricia ne sont pas totalement déterminées par ce choix unique : épouser ou non Mark. Dans les deux cas, elle garde la possibilité de prendre une direction différente, de décider autrement, de changer.
D'ailleurs, Tricia dont la vie de couple est un échec, finira par se prendre en main et quitter son époux. Elle s'investit dans quantité de luttes (contre le nucléaire, pour la paix, pour la préservation du patrimoine) et cet engagement, son attention aux autres, ne sont peut-être pas étrangers au monde apaisé et évolué qui est le sien comparé à celui dans lequel vit son alter ego. Patsy, heureuse en ménage, professionnellement épanouie, à l'abri du besoin, n'éprouve pas le besoin de changer les choses. Elle s'inquiète de l'insécurité du monde, regrette les préjugés qui l'empêchent de vivre son amour au grand jour, mais reste globalement auto centrée. Elle subit.
Jo Walton veut-elle faire passer un message ? Essaye-t-elle de nous rappeler que si nous n'avons pas toujours la main sur les évènements, nous pouvons cependant, à notre petit niveau, tenter de peser sur le cours des choses ? Et en effet, rien n'est écrit. Et si agir ne suffit pas toujours, ne rien faire ne conduit assurément nulle part. Quoi qu'il en soit, "Mes vrais enfants" est un très beau récit, tantôt mélancolique, tantôt joyeux, qui aborde de jolie manière l’émancipation des femmes et le combat qu’elles durent mener - et mènent encore - pour s’affranchir d’une société patriarcale et misogyne.
Denoël - Lunes d'Encre - 2017