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SF EMOI
13 janvier 2016

2084 LA FIN DU MONDE - BOUALEM SANSAL

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« Yölah est grand est Abi est son délégué ». Depuis la fin du Châr, la grande guerre sainte, l’empire théocratique d’Abistan s’étend partout sur Terre. Dans chacune de ses soixante provinces, le dogme du saint Kabul rythme chaque instant de la vie des abistanais et pas un ne songerait à mettre en doute les préceptes de la foi. Ati pourtant s'interroge. Au cours de son long séjour dans un sanatorium isolé dans les montagnes, il a pris l'habitude d'observer et de réfléchir sur ce qui l'entoure : pourquoi existe-t-il des frontières et une armée pour les protéger si l'empire est partout victorieux ? Pourquoi Yölah tolère-t-il des rebelles et des mécréants si leur existence lui est intolérable ? De retour dans sa ville il se lance dans une dangereuse quête de la vérité.

Cela n'aura échappé à personne, Boualem Sansal entend marcher dans les pas de Georges Orwell avec cette uchronie dystopique. Outre le clin d'œil de son titre, son roman nous propose en effet de suivre le parcours d’un personnage qui, à l’instar de Winston Smith, est amené à remettre en question les règles qui régissent sa vie quotidienne. C’est que le système politique à l’œuvre en Abistan est régit selon les même principes liberticides qui ont cours en Angsoc. Dogme unique, surveillance constante, répression impitoyable, les fondamentaux du totalitarisme sont bien là.


L’existence des abistanais est organisée et contrôlée dans ses moindres détails par une administration pléthorique et la délation est érigée en système :  « …comment échapper à l’administration, aux Civiques, aux V, aux espions de l’Appareil, aux AntiRegs, aux patrouilles de l’armée, aux croyants justiciers bénévoles, aux miliciens volontaires, aux juges de l’Inspection morale, aux mockbis et à leurs répétiteurs, aux dénonciateurs divers, à ces voisins qu’aucun mur, aucune porte ne décourage ? ». Le pays vit dans un état de guerre permanent qui autorise la fermeture des frontières ainsi que des restrictions de toutes sortes, politiques et économiques. Quant à l’ennemi de l’intérieur, réel ou supposé,  il justifie la police secrète et l’espionnage quotidien puisque, comme le dit si bien l'auteur, « Il faut un renard dans les parages pour que le poulailler soit bien gardé ».


Le peuple est aussi et surtout maintenu dans l'ignorance la plus crasse qui est encore le meilleur moyen  de l'asservir longtemps. Pas de bibliothèques, de théâtres ou de cinémas et encore moins d'écoles  pour faire son éducation. Les gens sont isolés, par villes, par quartiers et les voyages sont proscrits à l’exception de rares pèlerinages rigoureusement encadrés. Aucuns échanges de population et donc aucune circulation des idées, aucune confrontation à l’autre, rien qu’un conformisme morne et insipide. L’abilang, la langue officielle de l’Abistan, est volontairement appauvrie afin d'empêcher l’exercice des arts, de la philosophie et de la rhétorique. D’une manière générale le régime a détruit et interdit tout ce qui attestait que l’on a pu et que l’on pourrait encore penser autrement ; ainsi des livres, des disques et de toute autre forme d'œuvre d'art.


On le voit, en matière de système arbitraire,  l’Abistan n’a rien à envier à l’Angsoc. La dictature religieuse est peut-être même la plus efficace des tyrannies. Pourquoi en effet justifier ce qui est révélé ? Et comment contester ce qui a été décrété par Dieu ?  Sans oublier aussi la promesse d’une seconde chance, d’une vie meilleure après une existence de souffrance et de misère...


Passé un très long premier chapitre sans doute nécessaire pour faire un état des lieux mais parfois un peu hermétique et monotone, nous entrons dans le vif du sujet avec le retour de Ati dans la capitale. A partir de ce moment le récit devient réellement passionnant. Nous suivons l’évolution de son état d’esprit au gré de ses découvertes et de ses réflexions. Nous le voyons prendre progressivement  du recul vis-à-vis de la société et adopter un point de vue critique sur ce qui l’entoure. Nous assistons enfin à ses manœuvres pour échapper à la suspicion ambiante tout en enquêtant sur la réalité du dogme. De ses escapades dans les zones contrôlées par les rebelles jusqu'à son infiltration dans les cercles les plus élevés du pouvoir, nous effectuons avec lui un dangereux voyage vers la vérité qui nous fera mesurer l'ignominie de ces scélérats déguisés en hommes de foi.


En nous montrant ainsi quel pourrait être notre avenir si nous laissons la religion entre les mains des barbares, des filous et des ignares, l'auteur nous adresse une sévère mise en garde. Il nous rappelle aussi que la guerre seule ne peut résoudre les problèmes de civilisation auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés et que plus que jamais l’ouverture à autrui est nécessaire pour éviter les replis communautaires.

Gallimard - 2015

#MRL15 

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FLEUVE NOIR
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  • Blog consacré à mes lectures dans les domaines de la fantasy, du fantastique et de la science fiction. Mais comme je ne suis pas sectaire et que mes goût sont assez éclectiques, il n'est pas exclu que j'y parle aussi d'un bon polar ou d'un essai.
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