LE CAHIER VOLE - REGINE DEFORGES
Dans ce roman quasi autobiographique, Régine Deforges revient sur un évènement marquant de sa jeunesse : le vol de son journal intime et la divulgation de la relation amoureuse qu’elle entretint avec l’une de ses camarades. Des faits qui semblent aujourd’hui bien anodins mais qui, au début des années cinquante, pouvaient prendre des proportions étonnement dramatiques. Certes la France d’alors subissait encore le joug de la morale chrétienne et l’étroitesse d’esprit d’une société très conservatrice. Pour autant il est bien difficile d’imaginer, à plus d’un demi-siècle de distance, que l’histoire d’amour entre deux adolescentes ait pu mettre en émoi une ville entière et provoquer des réactions aussi démesurées.
La petite Léone de son roman va en effet subir un lynchage psychologique d’une violence inouïe. Une véritable persécution accompagnée d’attaques verbales et physiques de la part de presque tous les habitants de la petite ville de Montmorillon. Frappée d’un ostracisme quasi-total, guère soutenue par sa famille ou ses amis, la jeune fille va vivre des heures extrêmement pénibles et sera bien près de sombrer dans la dépression et le suicide.
A plusieurs reprises, Régine Deforges compare cette populace haineuse à celle qui tondit des femmes à la fin de la seconde guerre mondiale. Pour ma part, j’y ai vu les mêmes mécanismes qui, au moyen-âge ou à Salem, conduisaient de pauvres femmes au bûcher parce qu’elles refusaient de se conformer aux règles de leurs communautés ou tout simplement parce qu’elles étaient rousses, comme l’autrice et son personnage… Ici comme là, ce sont les mêmes mécanismes qui sont à l’œuvre, la jalousie haineuse de quelques-uns, la joie malsaine des autres, un effet d’entrainement et de dissolution des responsabilités.
Heureusement, la petite Léone a du caractère. Délurée et volontaire, intelligente et libre, vive et sensible, elle m’a rappelé la Claudine de Colette. Son ascendant sur ses camarades, la liberté que lui laissent un père absent et une mère dépassée par les évènements, son plaisir à baguenauder dans la nature, sont autant de traits qu’elle partage avec l’héroïne de cette autre femme de lettre indépendante et libérée.
Le Livre de Poche - 1993