A TRAVERS TEMPS - ROBERT CHARLES WILSON
Suite à une rupture sentimentale douloureuse accompagnée de la perte de son emploi, Tom Winter retourne s’installer à Belltower, la petite ville côtière qui l’a vu grandir. Il a accepté un poste de vendeur de voiture dans l’une des entreprises de son frère aîné et fait l'acquisition d'une maison sur Post Road, une route à flanc de coteau, un peu en retrait de la bourgade. Très vite, il se rend compte que la réputation d’étrangeté qui pèse sur la bâtisse n’est pas usurpée. Mais il ignore encore la nature du secret qu’elle renferme et à quel point sa vie va s’en trouver changée.
S’il ne révolutionne pas le thème du voyage temporel, « A travers temps » nous propose une approche pour le moins originale de ce classique de la SF. Les héros de Wilson ne sont pas des scientifiques qui espèrent s’affranchir des limites de l’espace-temps. Ce ne sont pas non plus des voyageurs temporels souhaitant découvrir le passé ou le futur. Tom ne sait pas qu’il emprunte un passage temporel et Billy Gargullo ignore vers quelle époque il se rend. L’un et l’autre sont à la recherche de paix et de sécurité. Ils fuient un danger ou se fuient eux-mêmes, ils veulent simplement rompre avec un quotidien insurmontable. On ne trouvera donc pas de paradoxe temporel qui viendrait mettre le récit en abîme et, si Tom envisage un temps de sauver ses parents de leur accident de voiture, il ne se servira guère de sa connaissance du futur et le passé ne sera quasiment pas impacté.
Mais ce qui fait vraiment la singularité de l’histoire de Wilson c’est la nature de son personnage principal. Car le véritable héros ce n’est pas Tom, ni Joyce, ni même Billy mais la maison de Post Road. Tout part de là, tout y revient et ce n’est pas un hasard si le récit s’y attarde longuement avant le départ de Tom pour les sixties et si, une fois ce dernier parti, nous y revenons par le biais de nouveaux personnages. Dès le début du roman l’accent est mis sur la réputation de cette maison étrange, à l’écart de la ville, inhabitée mais pourtant en parfait état. L’intrigue reste longtemps axée sur ses particularités et ses mystères. Qui était son ancien propriétaire, mystérieusement disparu, par quel prodige la maison reste-t-elle toujours d’une propreté immaculée, que dissimulent les fondations du bâtiment ? Toutes ces questions donnent lieu à une enquête sympathique menée par Tom et, si l'auteur nous a mis d'emblée dans la confidence pour ce qui est du passage temporel, les détails qui nous sont révélés ne manquent cependant pas d’intérêt, notamment ces drôles d’anges gardiens que sont les nano-insectes ménagers ou son concierge temporel qui se régénère patiemment.
Pour autant, le soin apporté aux autres personnages et en particulier à celui de Tom, est remarquable. L'approche psychologique est d'une grande finesse et diantrement fouillée. L’auteur nous le présente sous toutes les coutures et l'on ignore plus grand-chose de son passé, de ses sentiments et de l'état de son moral. On rencontre presque toute sa famille, son frère, sa belle-sœur et même son ex qui s’inquiète de sa santé mentale. Ses compagnons ne sont pas en reste puisque Joyce la hippie de Greenwich Village, Doug Archer l’agent immobilier adepte du surnaturel ou Catherine Simmons la voisine bénéficient du même travail de précision.
Enfin, si l’action est peu présente, elle n’est pas absolument absente. Elle se réfugie principalement dans les souvenirs du soldat du futur Billy Gargullo et dans la chasse à l'homme à laquelle il se livre dans Greenwich village grâce à son armure ultra sophistiquée qui fait de lui un guerrier presque invincible. La menace qu’il fait peser sur Tom, ses proches et tous les hôtes de la maison de Post Road installe une atmosphère d’urgence et ajoute au récit cette intensité et ce rythme qui tiennent le lecteur en haleine jusqu’au bout.
Denoël - Lunes d'encre - 2010