TROGLO-BLUES - BERTRAND PASSEGUE
Troglo-blues est un post-apo nerveux, sombre et violent qui pallie son manque d'originalité par un cadre intéressant. Bertrand Passegué a en effet située son intrigue dans le métro parisien, précédant ainsi d'une bonne quinzaine d’années Dimitri Glukhosky et son « Métro 2033 ». Anecdote mise à part, il faut avouer que cet univers souterrain ne manque pas d'attrait avec sa théorie de tunnels quadrillant le sous-sol parisien, sa pénombre et ses culs de basse fosse.
L'histoire se déroule trente ans après une bonne grosse guerre qui a vu la France écoper de sa part de bombes. Paris et sa région ont bien morflés et seul le centre de la capitale s’en est sorti sans trop de dommages. Autour, des ruines et une campagne désertique où survivent tant bien que mal des paysans pressurés par les affreux parisiens. Ces parasites sont de deux sortes. Il y a ceux qui vivent à la surface, aux alentours de l'hôtel de ville, sous la coupe du maire Lacourt. Il y a ensuite les troglos qui ont choisi de vivre sous terre dans les galeries du métro où ils avaient trouvé refuge pour échapper aux bombes.
Deux communautés qui se craignent et se disputent la ville, le jour pour les uns, la nuit pour les autres. Mais cette rivalité n’est qu’une façade destinée à maintenir les masses sous le joug de deux totalitarismes, la peur mutuelle justifiant dans les deux camps un pouvoir fort et sans partage. Pour avoir mis au jour la collusion entre les deux « mondes », cette symbiose de la terreur, Joris est contraint de fuir l’entourage du maire et finit par trouver refuge chez les troglos sous une fausse identité.
A partir de ce moment l'intrigue perd un peu de son ambiance post-apo pour prendre des allures d'histoire de sociétés secrètes avec secte, grand maître et épreuves initiatiques. Le récit demeure vif et l'action bien présente mais ça manque tout de même d'inventivité dans le déroulement des évènements. Heureusement la personnalité du héros est plus complexe. On croit longtemps que Joris n’est motivé que par l’envie de survivre et de se mettre définitivement à l’abri. Puis, quand on le voit gravir les échelons de la hiérarchie souterraine, on pense qu’il cherche le moyen de se venger de ceux qui ont tué sa copine tout en mettant à bas la double tyrannie.
Or, on se rend finalement compte qu’il est exactement comme ceux qu’il exècre. Ce qu’il veut, ce n’est pas réformer le système, mais le reprendre à son compte. Il est avide de pouvoir et des avantages qu’il procure, il est violent et égoïste, bref c’est une belle ordure. Mais comme on s’est pris au jeu, qu’on a jusqu’alors frémit avec lui et formé des vœux pour sa réussite, on ne peut malgré tout s’empêcher d’espérer qu’il s’en sorte. Heureusement pour la morale, Bertrand Passegué se montrera beaucoup moins indulgent que nous…
Fleuve Noir Anticipation - 1991