LES ENNEMIS - P-J HERAULT
A l’issue d’un combat entre un patrouilleur végien et un destructeur centaurien, quelques dizaines de rescapés des deux bords sont contraint de se poser sur une planète des confins peuplée de créatures du Jurassique. Sans espoir d’être secourus, les ennemis d’hier vont devoir s’apprivoiser pour survivre et peut-être fonder ensemble une colonie. C’est du moins ce qu’espère Ewen Pradec, un lieutenant des commandos végiens. Mais on n’efface pas comme cela huit années de guerre…
« La négociation exige courage et persévérance, la guerre est à la portée du premier imbécile ». Cette citation tirée de « La parabole des talents » d’Octavia Buttler pourrait être la devise du héros de ce roman. Ewen Pradec fait en effet partie de ces hommes et de ces femmes capables de surmonter leurs préventions et faire taire leur rancœur lorsque les circonstances l’exigent. Tout au long du roman il s’emploie à rapprocher les naufragés, arrondissant les angles et ménageant les susceptibilités. Il a d’ailleurs fort à faire car l’opposition n’est pas qu’entre anciens ennemis, entre végiens et centauriens. Elle est aussi - et surtout - entre ceux qui s’adaptent et ceux qui restent figés, ceux qui voient loin et ceux qui raisonnent en fonction de critères désormais dépassés ou qui veulent conserver leurs anciens privilèges, maintenir une hiérarchie qui les avantage.
Ce thème de l’homme qui prend en main la destinée de ses compagnons d’infortune est un classique dans l’œuvre de P. J. Herault tout comme d’ailleurs celui d’ennemis contraints de faire front commun contre une terrible menace (Ceux qui ne voulaient pas mourir, La fédération de l’amas). Quant à la robinsonnade, c’est elle qui donne son cadre général au récit et permet à l’auteur de démontrer une fois de plus ses qualités de créateur d’univers et son sens du détail.
De même que son héros doit penser à tout pour permettre aux siens de survivre, P. J. ne laisse rien au hasard. C’est particulièrement sensible dans les nombreux passages où ses naufragés de l’espace doivent penser survie. Le choix du lieu où implanter une ville, la récupération du matériel et sa transformation, les problèmes d’approvisionnement – en nourriture, en énergie – sont plus importants et plus intéressants que les scènes de combats contre les vilains dinosaures. Cela a beau être de la SF, tout paraît ici bien réel car expliqué et justifié.
On sent en tout cas que P. J. se plait à imaginer les prémisses d’une nouvelle société loin du carcan des règles anciennes. Une société fondée sur la recherche du bien commun où les décisions ne seraient pas imposées par les politiciens et les militaires responsables de la guerre («Une guerre ne se déclare pas toute seule, ce sont des hommes qui, par ambition personnelle, ou par incapacité, la laisse éclater, ou la provoquent délibérément»), une société où gouverner serait un sacerdoce, non une sinécure («Commander, cela veut dire être responsable des prolongements de tous ses actes, avoir prévu toutes les possibilités et les assumer»).
Notons enfin que malgré une confrontation parfois explosive entre les protagonistes, pas un seul mort n’est à déplorer. La preuve que l’on peut faire un bon roman d’action sans pour autant avoir un macchabée toutes les dix pages. La preuve aussi que la discussion, l’échange de points de vue et surtout, l’écoute, peuvent faire des miracles !
L'Officine - Fantastic Fiction - 2005