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23 juillet 2015

LE GRAND VESTIAIRE - ROMAIN GARY

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Après le décès de son père dans les derniers jours de la guerre, le jeune Luc Martin est pris en charge par une institution caritative qui l'envoie à Paris. Sitôt arrivé dans la capitale, il fait la connaissance d'un autre orphelin qui l'invite à s'installer chez lui. C'est ainsi qu'il rejoint Léonce et sa sœur Josette, deux ados délurés hébergés par Vanderputte, un vieil original vivant du marché noir et autres combines. Dans leur grand appartement de la rue Madame les trois amis vivent une existence étrange où le rêve côtoie la réalité la plus sordide.

Romain Gary est l'un des romanciers français que j'apprécie le plus. J'aime son écriture d'une aisance étonnante, à la fois classique et audacieuse. J'aime l'atmosphère quasi surréaliste qui baigne ses histoires ainsi que l'extravagance des lieux, des situations et des personnages. J'aime surtout cette sensation de folie maîtrisée et l'amour de l'humain qui émane de tous ses romans. Celui-ci fait partie de ses tout premiers, de ceux qu'il écrivit dans les années qui suivirent la fin de la deuxième guerre mondiale et qui ont d'ailleurs pour cadre ce conflit et ses conséquences.


Le récit se déroule dans le Paris d'après-guerre, période trouble où l'on vit dans la crainte du communisme et où se croisent soldats américains, collaborateurs et résistants. Nous y suivons un jeune orphelin d'une quinzaine d'années qui trouve refuge chez un vieil excentrique en compagnie d'un frère et d'une sœur de son âge. Ensemble, les trois ados se livrent à toutes sortes de trafics sous la houlette de Vanderputte, à la fois père adoptif et receleur, vieil homme plus malheureux que malhonnête.


Puis les petits voleurs deviennent braqueurs, autant pour réaliser leur rêve de voyage en Amérique que pour ressembler à ces acteurs de films noirs auxquels ils s'identifient. Ce faisant ils tentent à leur manière de préserver leur liberté, d'inventer leur avenir au lieu de se conformer au rôle que l'on attend d'eux. Ils se préfèrent gangster ou vamp plutôt que pupille de la nation promis à une vie toute tracée d'apprenti ou d'ouvrier.


Ils s'entourent aussi d'un quatuor d'originaux qui tous à leur manière ont rompu avec la société. Il y a là un faux tragédien mais véritable travesti, un ténor italien, un chimiste hongrois, un baron polonais. Quatre débris humains, laissés pour contre d'une Europe en pleine mutation, qui n'ont pas su ou pas voulu s'adapter. Des personnages détestables et attachants qui refusent d'endosser les vêtements du moment, d'entrer dans ce « grand vestiaire » où tout n'est qu'apparence. Des apparences au-delà desquelles les gens ne savent ou ne veulent pas voir. Ils restent au niveau du physique, de la fonction ou de la réputation. Au lieu de voir l'homme, ils ne voient que la défroque, l'allemand, le juif, le collabo...


La démonstration de Romain Gary culmine dans cette scène où un dentiste juif renonce à soigner un patient antisémite. Si l'on peut comprendre les réticences de l'ancien déporté, il n'en demeure pas moins que lorsqu'il prend cette décision, il cesse de voir un homme qui souffre pour ne plus voir que le raciste (
« Après ce qu'ils m'ont fait ! »). Concomitamment, il cesse lui-même d'être un homme quelconque, un dentiste, pour ne plus se définir que par sa judaïcité et ce, alors même qu'il venait d'avoir ces mots si justes : « enfin, un homme est un homme. ».


Cela illustre toute la difficulté qu'il y a à se conduire humainement envers son prochain, à ne pas juger avant de connaître. Il ne s'agit pas d'aimer ou de pardonner mais simplement d'essayer de comprendre. C'est cela que Romain Gary, lui-même juif et résistant, veut nous faire saisir. Il ne se fait cependant guère d'illusions et termine son histoire sur une note pessimiste. Son jeune héros se rallie à l'opinion générale ; il juge et applique la sentence voulue par tous. Il rentre dans le rang en abdiquant une partie de son humanité : sa capacité à compatir. Et la dernière phrase résonne comme un glas, un terrible aveu d'impuissance :
« Je pouvais maintenant retourner parmi les hommes ».

Gallimard - Folio

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FLEUVE NOIR
fl no
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  • Blog consacré à mes lectures dans les domaines de la fantasy, du fantastique et de la science fiction. Mais comme je ne suis pas sectaire et que mes goût sont assez éclectiques, il n'est pas exclu que j'y parle aussi d'un bon polar ou d'un essai.
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