LA BETE ET LA BELLE - THIERRY JONQUET
Le commissaire Gabelou aimerait bien que Léon se mette à table. Ce n'est pas que son témoignage soit absolument nécessaire puisque le coupable a déjà été arrêté, mais il y a encore quelques zones d'ombres qu'il aimerait bien éclaircir. Manque de bol, le prévenu s'obstine à rester muet. Il se contente de passer en revue ses souvenirs en essayant de comprendre ce qui a pu les amener, lui au quai des orfèvres, et son ami à l'hôpital, dans un état critique.
Si vous souhaitez lire un polar dont l'intrigue repose sur la recherche et la découverte du coupable, vous vous êtes trompé de bouquin. Dans La belle et la bête, le coupable, on le connaît dès le début. D'ailleurs, le coupable, c'est son nom. C'est du moins comme çà qu'on le nomme. Comme il y a l'emmerdeur, le visiteur, la vieille, le commis et le gamin. Parce que finalement, victimes, assassins ou témoins, leur identité n'a pas beaucoup d'importance ; ce sont eux, mais çà pourrait être d'autres, vous, moi. Des gens ordinaires avec des vies bien ordinaire.
En tout cas, cette absence de patronyme n'aide pas beaucoup à suivre le cours du récit. D'autant que celui-ci nous est raconté par plusieurs voix. Celle de Gabelou, le commissaire, qui nous dépeint la garde à vue du vieux Léon et quelques épisodes de son enquête ; celle du coupable par le biais de son journal intime enregistré sur des cassettes audio ; celle du vieux Léon enfin dont le monologue intérieur éclaire le quotidien et celui de son pote le coupable. Un roman choral donc, avec les approches différentes et les points de vus décalés que cela comporte.
Nous pénétrons ainsi l'intimité de deux inadaptés et revivons leur neuf mois de cohabitation dans un appartement où les poubelles s'amoncellent, restreignant jour après jour leur espace vital. Le premier est un vieux paysan rattrapé par la banlieue et qui n'a jamais réussi à s'intégrer à son nouvel environnement. Le second est l'une de ces personnes trop faibles ou trop respectueuses des règles et des conventions, qui finissent un jour par péter les plombs. Un peu comme une cocotte minute incapable de relâcher la pression en disant merde ou en allongeant une torgnole, il va finir par exploser et sombrer dans la folie. Mais a-t-il pour autant commis les meurtres dont on l'accuse ? (et dont il s'accuse lui-même). Voilà qui n'est pas sûr. Et c'est tout le talent de Thierry Jonquet que de nous faire douter à mesure que l'on fait connaissance avec son personnage et que l'on découvre les raisons de son mal être et les surprenantes manifestations de sa folie.
Parfait exemple de néo-polar, ce policier à la française où la critique sociale est plus importante que l'enquête, La bête et la belle est un roman qui met mal à l'aise. Il fait le constat d'un modèle de société qui a dérapé et nous livre une peinture très juste de la banlieue et de son triste quotidien avec sa cité, son CES et son usine Citroën. Une banlieue clapier, un nid à misère empli de travailleurs sans avenir et d'une jeunesse promise au chômage et à la délinquance.
Gallimard - Folio Policier - 1999